L’arrêt rendu le 13 mars 2024

L’arrêt rendu le 13 mars 2024 par la Cour de cassation concerne un litige familial autour d’une société par actions simplifiée (SAS) constituée par un père et son fils en février 2015. Ce litige porte sur la répartition des actions et le système de droits de vote instauré par les statuts de la société.

1. Contexte des faits

En 2015, les statuts de la SAS distinguent deux types d’actions : les actions de catégorie A, qui confèrent 100 droits de vote chacune, et les actions de catégorie B, qui n’en octroient qu’un seul. En raison de cette structure, le fils se voit attribuer 2 225 actions de catégorie A, tandis que le père ne détient que 25 actions de catégorie B, créant ainsi une grande disparité dans le pouvoir de décision.

En 2016, le père décède, et ses héritiers (la veuve, leur fils co-fondateur, et leurs trois autres enfants) entrent en conflit sur la validité de cette répartition des actions et des droits de vote. La veuve et trois de ses enfants assignent le fils co-fondateur et la SAS, en demandant l’annulation de deux articles des statuts : celui établissant la répartition des actions et celui régissant les droits de vote.

La cour d’appel de Rennes annule certaines décisions votées avant la régularisation des statuts mais rejette la demande d’annulation des articles litigieux. Elle ordonne la régularisation de la procédure en ajoutant l’évaluation des avantages particuliers octroyés au fils, comme l’exige la loi.

2. Les avantages particuliers dans la SAS et la procédure d'octroi non respectée

La question centrale ici porte sur l’octroi des avantages particuliers dans une SAS. Un avantage particulier est défini par la doctrine comme une faveur spécifique, souvent pécuniaire, octroyée à un associé ou un tiers, créant une rupture d’égalité entre les associés.

En l’espèce, le fait que les actions de catégorie A confèrent 100 droits de vote chacune, tandis que celles de catégorie B n’en confèrent qu’un, constitue un avantage particulier accordé au fils. Cet avantage déséquilibre la répartition du pouvoir au sein de la société, le poids des actions n’étant pas proportionnel au nombre d’actions détenues.

La loi impose que la procédure d’octroi d’un tel avantage soit encadrée par des règles strictes, notamment par l’intervention d’un commissaire aux apports chargé d’évaluer l’avantage. Cette évaluation doit être annexée aux statuts de la société. Dans cette affaire, cette étape n’avait pas été respectée lors de la constitution de la SAS, ce qui a conduit la cour d’appel à ordonner la régularisation des statuts.

3. Sanction de l'irrégularité de la procédure

Le non-respect de la procédure d’octroi des avantages particuliers a entraîné la nullité des décisions prises avant la régularisation. La Cour de cassation confirme cette nullité, en application de l’article L225-16-1 du Code de commerce, qui suspend les droits de vote des actions émises en violation de l’article L225-14.

Cependant, la Cour rejette la demande d’annulation des articles des statuts eux-mêmes. Elle considère que le non-respect de la procédure n’entraîne pas automatiquement la nullité des clauses statutaires instaurant les avantages particuliers, mais seulement la nullité des décisions prises avant la régularisation.

4. Participation du bénéficiaire d’avantages particuliers à la régularisation

  • La Cour de cassation tranche également sur la question de la participation du fils, bénéficiaire des avantages particuliers, à la régularisation de la procédure. Selon les articles L225-8 et L225-10 du Code de commerce, les actions du bénéficiaire d’avantages particuliers ne doivent pas être prises en compte dans le processus de régularisation. Néanmoins, la Cour rappelle que ces articles, bien que valables pour les sociétés anonymes, ne s’appliquent pas aux sociétés par actions simplifiées (SAS).

    La Cour de cassation considère donc que le fils, co-fondateur et bénéficiaire des avantages particuliers, doit participer à la régularisation, confirmant ainsi que la procédure de régularisation peut inclure la signature d’actes par l’ensemble des associés, y compris le bénéficiaire de ces avantages.

5. Survie des articles litigieux des statuts

Finalement, malgré l’irrégularité de la procédure initiale, les articles des statuts attribuant des droits de vote différenciés survivent. La Cour rejette les arguments de la veuve et des trois autres enfants, qui invoquaient l’article L228-11 du Code de commerce pour tenter de faire déclarer non écrits ou nuls les articles litigieux, au motif que les actions de catégorie B ne pouvaient être considérées comme sans droit de vote.

Conclusion : un équilibre entre respect des procédures et liberté statutaire

Cette décision rappelle que, même dans une SAS, où les statuts offrent une grande liberté aux associés, le respect des règles encadrant l’octroi d’avantages particuliers est crucial. Si la procédure n’est pas suivie, elle peut entraîner la nullité des décisions prises avant la régularisation. Toutefois, cela n’implique pas nécessairement l’annulation des clauses des statuts.

Ainsi, la Cour de cassation continue de protéger la liberté statutaire propre aux SAS, tout en garantissant que les droits des associés sont respectés à travers des procédures rigoureuses et conformes au Code de commerce.

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